POESIE GOURMANDE

Publié le par mitokola

huîtres Poème d'Armand Gouffé

LES DEUX HUITRES ET LEUR JUGE

(fable-devise dédiée à Mr Balaine, restaurateur au
 Rocher de Cancale, et Mr Guilbert, confiseur aux
 Deux Palmiers)




Un gros bonbon, fort bien tourné,

En huître avec art façonné,

Chez les gourmands un jour s'intalle,

Et dit, d'un air déterminé :

 

- Messieurs, si vous avez bon nez,

Jugez le parfum que j'exhale,

Et renvoyez à fond de cale,
Aux yeux de Balaine étonné,
L'Huître du Rocher de Cancale !

- Ah ! j'en appelle à votre goût
(Dit une Huître fraîche et gentille,
Ouvrant brusquement sa coquille),
Depuis longtemps ici je brille,
Laissez-moi parler avant tout.

- J'admire cet orgueil extrême,
Reprit l'autre ; mais Dieu merci :

"Vous êtes fille, moi de même.
Je prétends bien parler aussi ;
Chacun exposera ses titres :
Qu'on nous choisisse des arbitres,
Nous courberons nos fronts rivaux
Devant leur jugement auguste,
Pourvu cependant qu'il soit juste,
Comme pour les prix decennaux."

- Parlez donc, mais... l'une après l'autre
- (Leur dit le plus ancien Gourmand),
Et vous verrez dans un moment,
Pour juger équitablement,
Quel discernement est le nôtre !

- Moi, dit l'une avançant d'un pas,
Je dispose à la gourmandise,
Et j'ai le droit, quoiqu'on en dise,
D'ouvrir les plus brillants repas.

- Moi repartit l'Huître sucrée,
Avec plus d'éclat on me sert ;
C'est quand vous êtes retirée
Qu'à table je fais mon entrée
Pour orner le plus beau dessert.

- De Chablis le Gourmand m'arrose,
Quand je dors dans son estomac.
On m'abreuve d'huile de rose,
De marasquin et de scubac.

- Je brille à Cancale, à Marennes,
Dont j'ai fait la célébrité.

- Moi, dans les mains de la beauté,
Je brille surtout aux Etrennes !

- Maint Restaurateur chargé d'or
Me doit son crédit et son lucre.

- Vous voulez renchérir encor
Ma belle, allez vous faire... sucre.

- Ah ! vous vous échauffez je crois
(Dit le juge à nos deux femelles),
C'est assez, je connais vos droits,
Je puis, mes chères demoiselles,
Vous juger sans aller aux voix ;
Avec candeur, avec franchise,
Permettez donc que je vous dise
Qu'en parlant devant des gourmands,
Vanter ainsi vos agréments,
C'est raisonner comme des huîtres !
Vous savez plaire à qui mieux mieux ;
Or sus, d'après de pareils titres,
J'enjoins de suite, à vos arbitres,
De vous croquer toutes les deux.

Vous qui voulez charmer le monde,
Belles, vous pouvez à la ronde,
Expliquer cette Fable-là
Pour vous juger l'Amour est là.
Grande, petite, brune ou blonde,
Le Dieu friand vous croquera.


Poème d'Armand Gouffé, chansonnier et

vaudevilliste, né à Paris en 1775 et mort en 1845.


huîtres Poème d'Armand Gouffé

Publié dans Histoire et anecdotes

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